Douces RAGES est un recueil de 144 pages de huit poèmes graphiques, de recherches sur la narration expérimentable et d’illustrations réalisés par PieR Gajewski sur une période de plus de dix ans. Les poèmes graphiques ont été publiés dans des collectifs internationaux européens, asiatiques ou américains et en auto-édition.

Ces travaux explorent plusieurs formes de rages, tels des chapitres, évoluant avec le temps. Une sorte de parcours initiatique reprenant le cheminement d’une vie. Qu’il s’agisse d’un premier amour ou juste d’une rencontre d'un soir, d’un engagement politique ou des dérives du pouvoir, des cauchemars issus de l’enfance ou de la disparition de nos idoles... Toutes ces étapes enlacées les unes aux autres construisant un individu, une identité.

Ces histoires ont également en commun une envie d’exprimer un regard porté sur une société à la dérive. Une société qui se serait perdue dans une mondialisation folle, broyée par une économie consumériste où l’être humain n’aurait plus sa place.

Les Douces RAGES se veulent également engagées, tant par les sujets abordés que par les formes narratives employées et parfois même par le contexte de leurs publications. Elles se jouent aussi des codes de la bande dessinée, questionnant le médium en tant que tel et le revendiquant comme un art à part entière. La rage ne s’exprime pas selon les codes établis, elle les explose et elle les brûle.

Découvrir les oeuvres artistiques de PieR Gajewski est de prime abord une expérience excitante et terrifiante. À l’intérieur de chaque case, le yin et le yang sont étroitement liés. Alors que notre oeil pénètre dans son flot d’images, un équilibre et une harmonie se dégagent de sa disposition judicieuse de formes abstraites. Puis on saisit une seconde dimension qui elle n’a rien à voir avec de l’abstraction. Il s’agit d’une représentation extrêmement pointue d’un complet déséquilibre montrant des personnes en lutte, opiniâtres, tentant d’échapper au désastre.

Gajewski a cette capacité fascinante d’opposer le noir au blanc, en motifs qui séduisent le regard, mais néanmoins angoissante car elle vous confronte à l’apocalypse violente comme un coup porté en pleine face.

Le travail de PieR Gajewski évoque celui du graveur sur bois belge Frans Masereel qui par ses histoires imagées sans texte, telle A Passionate Journey, explore également le monde aux frontières de l’amour et de la destruction. Dans l’oeuvre de l’un comme de l’autre, les regards de Masereel et de Gajewski convergent le premier plan et l’arrière-plan, les humains ne font plus qu’un avec les structures qu’ils ont construites.

Ceci révèle que le monde moderne que nous avons créé, censé nous réconforter, peut à tout moment s’effondrer sur nous. Les systèmes que nous avons élaborés sont précisément ceux qui risquent de nous priver de toutes nos libertés.

Malgré le noir et blanc, les images de PieR irradient de couleurs. On peut voir les ouvriers en bleu de travail et les policiers dans leurs uniformes d’un bleu plombé se confronter aux foules multicolores. Dans la fumée et le feu qui illuminent le ciel, il est facile d’y discerner la lueur dorée et le rouge sang.

Je suis très sensible à ce chaos qui éclate et que PieR Gajewski a réussi à mettre sur papier; j’espère juste que le futur qui nous attend n’aura pas l’allure du monde qu’il a mis en son oeuvre.

Peter Kuper
Oaxaca, Mexico, Septembre 2007

Publié par L’Atelier TURUT - tiré à 600 exemplaires dans la collection Bulles
Textes, images et mise en pages : PieR Gajewski
Format : 19 x 26 cm - 144 pages - noir et blanc
Couverture à rabats - impression offset sur papier 350 et 170g
Prix de vente : 15 € - parution : Février 2015